DOCTRINE
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L’IPI, LA DEONTOLOGIE ET LA FORMATION PERMANENTE DES AGENTS
TITULAIRES :
DU CARACTERE OBLIGATOIRE ET DE L’INDEPENDANCE DE LA FORMATION
(par Olivier Domb, Président de la Chambre d’Arbitrage et de
Médiation)
On a beaucoup écrit sur le code de déontologie élaboré
par l’Institut professionnel des agents immobiliers,
contenant obligation de formation permanente.
Cela est lié au fait que cette matérialisation de
la mission essentielle de cet institut a été intégralement
suspendue
par le Conseil d’Etat, saisi dans le cadre de recours en annulation
dudit code.
Il faut rappeler à cet égard que loin des polémiques
sur la motivation prêtée par d’aucuns aux agents immobiliers
à
l’origine de ces recours, le Conseil d’Etat ne sanctionne que
l’illégalité des dispositions dont il est valablement saisi
en assurant ainsi avant tout le respect du droit, et non pas
un examen d’opportunité.
A lire le code de déontologie, on peut s’étonner
de la focalisation principale des recours sur la question de
l’exclusivité.
Il est vrai que ce point suscite passions et débats, lorsque
l’on sait qu’il peut concerner la survie professionnelle
de maints intéressés, visés par ce que l’on
peut appeler en réalité une réglementation illicite
du marché, susceptible
d’entraîner des distorsions de la concurrence.
Mais à vrai dire, le code de déontologie comporte
d’autres anomalies juridiques.
Parmi ces dernières, on peut citer l’imposition de contrats
écrits (courtages, gestion, commandes de travaux),
de contrats à durée déterminée, la
possibilité d’édicter des règles déontologiques
moyennant approbation
ministérielle, l’instauration d’obligation au courtier
de gestion de fonds et valeurs, l’imposition d’ouverture de
compte aux associations de copropriétaires, etc.
Ce qui suit tend à mettre en évidence un autre aspect
de la vulnérabilité juridique du code suspendu:
l’impossibilité de sanctionner actuellement le non-respect
par les agents immobiliers des obligations de formation
permanente (et de remise à niveau).
Par référence à la loi-cadre réglementant
la protection du titre professionnel et l’exercice des professions
intellectuelles prestataires de services (loi du 1er mars 1976,
modifiée par la loi du 15 juillet 1985 et l’Arrêté
Royal du 12 octobre 1998 – en exécution de la loi du 10
février 1998), la Confédération des Immobiliers de
Belgique (C.I.B) et l’Union des Professions immobilières
de Belgique (U.P.I) ont déposé en 1991 une requête
tendant à réglementer la protection du titre professionnel
et l’exercice de la profession d’agent immobilier
(M.B 9 août 1991).
La requête stipulait que « pour pouvoir porter le
titre d’agent immobilier et exercer à ce titre les activités
(...),
tout candidat doit justifier de connaissances suffisantes dans
les matières suivantes (suit une liste de matières
juridiques et techniques).
Elle précisait que sont réputées réunir
les connaissances professionnelles requises les titulaires des diplômes
grosso modo repris par l’Arrêté Royal du 6 septembre
1993, complété par l’Arrêté Royal du 2 mai 1996.
Tous les agents immobiliers connaissent cet Arrêté
réglementant leur profession.
On notera que la loi-cadre délimite le contenu de la requête
en protection du titre et de l’exercice de la profession
d’agent immobilier.
Il s’agit de mentionner principalement le titre à protéger
et les activités à réglementer, le programme et le
niveau
des connaissances professionnelles à dispenser par des
établissements d’enseignement ou de formation organisés,
reconnus ou subventionnés par l’Etat, les Communautés
et les Régions, les éléments de base des règles
de
déontologie ainsi que les éléments de base
et la durée de la période de stage, et la création
d’un institut
professionnel qui aura essentiellement pour mission de préciser
ou de compléter les règles de déontologie.
Par titres et diplômes requis, on entend ceux sanctionnant
les connaissances exigées et dont la délivrance
conditionne l’accès à la profession.
A priori, on pourrait penser que, contrairement aux autres conditions
d’accès et d’exercice (la responsabilité
de tout acte professionnel posé, le respect des règles
de déontologie, le secret professionnel...), les connaissances
à acquérir subordonnent l’accès à
la profession, mais non le maintien de l’exercice de celle-ci.
Cependant, alors que les fondateurs de l’IPI réputaient
acquises les connaissances professionnelles de la plupart
des futurs agents immobiliers agréés (les agents
ayant exercé leur profession au moment de la protection du titre
étant selon certaines conditions dispensés de la
production de titres et diplômes), la loi-programme du 10 février
1998 donne au Conseil national de l’IPI le pouvoir de prendre
des mesures relatives au perfectionnement
professionnel et à la formation des membres.
Mais ce pouvoir ne se confond pas avec celui d’établir
des normes déontologiques.
En effet, un code de déontologie à proprement parler
est étranger à la formation professionnelle, parce que son
objet est de protéger ou développer des règles
de probité, d’honorabilité, de courtoisie, de confraternité,
d’indépendance et de discrétion.
Il en découle que la réglementation de la formation
permanente nécessite un acte distinct du Conseil national
(il ne s’agirait pas d’une directive, dans la mesure où
la définition d’une directive actuellement avancée par l’IPI
est une décision destinée à détaillée
ou compléter les règles de déontologie).
Cela étant, la transgression de cet acte distinct du Conseil
national, autorité normative, pourrait en soi conduire à
une procédure disciplinaire si cette transgression était
expressément affirmée par le code de déontologie suspendu.
Or, ce dernier ne permet de réprimer que les comportements
contraires au code et au règlement d’ordre intérieur.
On peut souhaiter, en considération de ce qui précède,
une refonte du code sans attendre une probable censure
définitive du Conseil d’Etat (l’annulation proprement
dite du code), eu égard au contenu de l’arrêt de suspension.
En effet, l’image de l’agent immobilier, et donc la confiance
à placer en lui par le public commandent la mise sur
pied et l’entrée en vigueur rapides d’un code valide et
cohérent, en regard de l’insécurité juridique découlant
de la suspension intégrale du code actuel et de la longueur
certaine de la procédure administrative contentieuse
(la rapidité d’élaboration d’un nouveau code n’excluant
pas toutefois le temps nécessaire à une conception et
préparation de qualité).
Quel est l’impact de la suspension du code actuel sur la formation
et le perfectionnement professionnels des
agents titulaires ?
Il semble bien que le non-respect par ceux-ci de l’obligation
de suivre cette formation et ce perfectionnement ne
puisse fonder actuellement de sanction disciplinaire.
On ne peut en effet souscrire à l’affirmation de l’IPI
selon laquelle les règles de déontologie restent applicables
nonobstant ladite suspension.
La jurisprudence citée par l’institut à l’appui
de son appréciation (compte tenu de l’inexactitude partielle des
références fournies par l’institut) admet que certaines
règles déontologiques non écrites puissent fonder
une action
disciplinaire .
Il est à préciser cependant qu’il s’agit de règles
fondamentales et relatives à des catégories professionnelles
dont les particularismes et les usages sont étrangers
aux agents immobiliers.
La lecture des textes régissant la profession d’agent immobilier
permet de se poser la question de la légitimité des
procédures disciplinaires actuelles.
L’Arrêté Royal du 6 septembre 1993 protégeant
le titre et l’exercice professionnel de l’agent immobilier stipule
que ce dernier doit respecter les règles de déontologie
élaborées par l’institut.
Cet Arrêté a été pris en exécution
de la loi-cadre de 1976 (voir supra) qui prévoit que le Conseil
national peut
détailler, adapter et compléter les règles
de déontologie, ces dernières ne possédant force obligatoire
qu’après
approbation royale.
L’élaboration de règles dont l’approbation par une
autorité extérieure est une condition préalable à
leur caractère
obligatoire suppose logiquement que cette autorité examine
et évalue le résultat tangible et matériel d’un processus
intellectuel.
Ce qui conforte, pour autant que cela fût encore nécessaire,
la thèse de l’absence d’opposabilité d’usages
non écrits est le fait que l’élaboration des règles
déontologiques est légalement du ressort du Conseil national
(et non des Chambres exécutives), ce dernier ne pouvant
se retrancher derrière des règles existant antérieurement
à sa propre création sans les reprendre clairement,
explicitement.
Une procédure disciplinaire, allant de l’avertissement
à la radiation, ne requiert-elle pas dans un régime
démocratique la transparence des textes fondant la répression,
et qu’une infraction ne soit pas créée par un
tribunal composé, de surcroît, de concurrents censés
promouvoir activement leurs propres intérêts professionnels
?
On serait par ailleurs, en ce qui concerne les professions immobilières,
bien en peine de déceler des règles
déontologiques fondamentales communes et non écrites
à des secteurs aussi différents que ceux de bureaux,
résidentiel ou touristique, et il n’est pas un secret
que les professionnels d’un même secteur ne partagent pas
toujours des principes et manière de travailler de leurs
confrères sans que cette différenciation ne soit pour autant
illégitime.
La relativité de l’application de règles non écrites
est d’autant plus avérée que les organismes à l’origine
de la
création de l’institut (C.I.B et U.P.I) représentant
une partie minoritaire du corps des professionnels de
l’immobilier, et qu’au moins l’un d’eux fonde, faut-il le souligner,
la répression de comportements
anti-déontologiques de ses adhérents sur des règles
écrites.
Ce flottement juridique se dénote aisément par le
fait que ces mêmes organismes n’ont pas inséré dans
leur
requête en protection du titre et de l’exercice professionnel
les règles déontologiques de base censées être
ultérieurement détaillées, adaptées
et complétées, malgré l’obligation qui leur en était
faite par la loi-cadre de
1976 (et ses modifications).
Tout juste ont-ils simplement repris les dispositions légales
et minimales expresses de cette loi quant au secret
professionnel, la responsabilité des actes posés
ou le port du titre.
Il est également un aspect de la formation permanente et
de la remise à niveau qu’il s’agit de mettre en évidence,
celui de l’évaluation des agents titulaires.
Le code de déontologie, tel qu’intégralement suspendu,
stipule que l’agent consacre l’attention nécessaire à sa
formation professionnelle, et que le conseil national détermine,
entre autres, le nombre d’heures et les sujets,
l’agent immobilier devant fournir les preuves nécessaires
de leur suivi.
En aucun cas, il ne devrait être question de conditionner
la poursuite de l’activité d’agent immobilier à la réussite
d’un examen.
En effet, le faire reviendrait à exiger la production d’un
diplôme particulier, un titre non requis par la législation
sur la protection du titre et l’exercice de la profession.
Evidemment, il peut être opportun, tant pour l’institut
que pour les chargés d’enseignement d’évaluer par des tests
ponctuels les connaissances des intéressés.
Cela étant, en ce qui concerne les agents dont l’agréation
est soumise à la production des diplômes et titres visés
dans l’Arrêté Royal du 6 septembre 1993, il est
vraisemblable que les cours données porteront sur les
modifications légales postérieures à leur
délivrance, ou des avancées technologiques depuis cette date
et les
intéressant particulièrement, dans la mesure où,
aux termes-mêmes de la requête en protection du titre déposée
par la C.I.B et l’U.P.I, ces agents bénéficient
déjà de connaissances suffisantes pour exercer leur profession
dans
des domaines aussi variés que : actes d’état civil,
émancipation, interdiction, divorce, superficie, accession, égout
des toits, servitudes, testament, inscriptions marginales, obligations
conventionnelles, bail à cheptel, nantissements,
taxes et exemptions fiscales, fusion de sociétés
commerciales, parastataux, police des cours d’au non navigables,
conservation des monuments et sites, remembrements, évolution
des techniques architecturales, évolution de
l’urbanisme au cours des siècles, plans-masses de logement,
problèmes urbanistiques spirituels et de détente,
zonage, technologie du bâtiment, atlas des chemins vicinaux,
organismes d’assurances de droit public, bons
hypothécaires, leasing, etc.
Il semble d’autre part essentiel, pour des raisons tenant à
l’indépendance du corps professoral et à la préservation
du caractère équitable des procédures disciplinaires,
que les matières de la formation permanente soient prodiguées
par des personnes étrangères à l’IPI, son
conseil national, ses chambres et commissions.
Si l’on sait que des comportements contraires à la déontologie
peuvent être liés à l’ignorance ou la transgression
des matières reprises ci-dessus, la tentation pourrait
naître, auprès de responsables cumulant l’enseignement de
la
formation avec le pouvoir d’établir des règles
déontologiques et la faculté de suggérer ou d’initialiser
enquêtes,
dénonciations ou poursuites au sein de l’IPI, de sanctionner
ou d’écarter des confrères dont ils sont les concurrents
immédiats.
Mais l’on peut espérer que les éminents spécialistes
composant les instances de l’institut auront à coeur de garantir
l’indépendance de la formation à dispenser par
les établissements organisés, reconnus ou subventionnés
par les
pouvoirs publics, et de veiller à ce que cette dernière
soit, de ce fait, dispensée de manière financièrement
accessible.
En effet, lorsqu’on sait, au vu de certaines déclarations
de responsables de l’PI, qu’il entrait dans leur intention
d’épurer le marché immobilier à travers
l’obligation de l’exclusivité -et donc le code de déontologie-,
il importe
d’éviter que par le biais de la formation permanente,
on tente de réguler ce marché, une volonté sanctionnée
par
le Conseil d’Etat dans son arrêt du 24 septembre 1999 suspendant
intégralement le code.
Ce raisonnement sur l’indépendance du corps professoral,
bien que transposable aux agents immobiliers
stagiaires, ne semble pas avoir été malheureusement
suivi, puisque l’Arrêté Royal du 3 février 1999 réglementant
le stage (élaboré vraisemblablement à l’initiative
de l’IPI) prévoit que la commission de stage de l’institut,
elle-même composée de confrères concurrents,
organise l’enseignement à dispenser aux stagiaires, émet
l’avis
sur le dossier de stage, qui, s’il est négatif, est susceptible
de contraindre les agents sollicitant leur inscription au
tableau des titulaires à passer un examen d’aptitude auprès
de cette même commission selon les modalités fixées
par le Conseil national, actuellement composé en partie
des mêmes personnes.
N’eût-il pas été plus adéquat de confier
cette épreuve à un organisme indépendant, non composé
de personnes
cumulant des fonctions au sein de la commission de stage et du
conseil national, ainsi qu’il apparaît à la lecture de
l’organigramme de l’IPI ?
On peut souhaiter que les agents immobiliers auront la volonté
–surtout le temps et les moyens- d’accroître et
perfectionner leurs connaissances professionnelles, malgré
le niveau de connaissances encyclopédique
généreusement prêté par les initiateurs
de la réglementation sur leur profession (connaissances dont l’aperçu
donné
plus haut est particulièrement concis).
En tout état de cause, tant que le présent code
de déontologie sera suspendu ou qu’un document analogue et
ayant force obligatoire ne sanctionnera pas légalement
sur le plan disciplinaire l’obligation de suivre une formation
permanente, les agents titulaires ne devraient pas faire l’objet
de poursuites sur ce point.
Le rapport d’activité 1999 de l’IPI, qui ne semble pas
avoir été publié à ce jour en dépit
de l’obligation légale
de le faire pour le 30 juin dernier, révèlera sans
doute l’impact de la suspension du code sur la formation
permanente et, nonobstant ladite suspension, le suivi par les
titulaires des programmes mis au point.
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