DOCTRINE
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COMPOSITION DES CHAMBRES EXECUTIVES IPI : LA LEGALITE
A L’EPREUVE DU POUVOIR PERSONNEL
EXEMPLE D’UNE MAUVAISE GESTION D’UN CONFLIT
ETERNEL
Par Olivier DOMB, Président de la Chambre d’Arbitrage
et de Médiation
www.arbitrage-mediation.be
Les chambres exécutives de l’institut professionnel
des agents immobiliers sont, d’un point de vue structurel, irrégulièrement
composées depuis mars 2001, en raison de
la présence à leur tête de personnes non élues
par des agents immobiliers.
Malgré la reconnaissance par la chambre francophone
elle-même de cette irrégularité (décision Crasset
25 septembre 2001, n°
CD53), cette dernière continue à
siéger sans modification de sa composition malgré les objections
soulevées par des parties en
cours de procédure.
Nous tenterons d’exposer les causes et les conséquences
de l’illégalité en procédure administrative et disciplinaire,
la motivation de la chambre exécutive francophone
et les moyens de rétablir l’état de droit.
1. Genèse de l’illégalité
: évolution législative et réglementaire
La loi-cadre du 1er mars 1976 réglementant
la protection du titre professionnel et l’exercice des professions intellectuelles
prestataires de services (MB 27 mars 1976) stipulait
à l’origine que les chambres (exécutives) étaient
composées de membres
effectifs et de membres suppléants élus
par les personnes inscrites au tableau des titulaires ou sur la liste des
stagiaires
(art. 6 §3). Elles sont assistées par
un assesseur juridique ou un assesseur juridique suppléant désigné
par le ministre des
classes moyennes (art. 6 §6).
Elle précisait que chaque chambre d’appel
était présidée par un conseiller effectif ou
honoraire à une cour d’appel ou une cour
du travail, désigné par Roi (art.
6 §4)
Etrangement, elle ajoutait que le Roi fixait la
composition des chambres, outre les modalités d’élection
et de fonctionnement
(art. 6 §5), ce qui constituait une
contradiction dès lors que la composition était déjà
clairement réglée en son principe.
Mais cette contradiction s’explique par le fait
que le texte, d’origine parlementaire, était le condensé
et le fruit de plusieurs
propositions dont l’une utilisait le terme
« composition » à l’exclusion des autres.
S’il fallait considérer qu’un doute subsistait,
au moins théoriquement, sur un pouvoir du Roi en matière
de composition
organique des chambres, d’autant que la loi de
1976 ne fut pas exécutée avant novembre 1985, un tel doute
a alors forcément été
levé par la loi du 15 juillet 1985
(MB 26 juillet 1985), aux termes de laquelle le Roi ne dispose plus de
pouvoir de fixer la
composition des chambres, mais uniquement de déterminer
le nombre de leurs membres, en dehors de l’établissement des
conditions d’éligibilité, des modalités
d’élection et de fonctionnement. Cette loi précise que dorénavant
l’assesseur juridique
doit être un avocat inscrit au tableau de
l’ordre, et que les présidents de chambre d’appel sont soit des
magistrats, soit des
avocats nommés par le Roi.
En résumé, seule la présidence
de la chambre d’appel est dévolue à un juriste professionnel
non élu, tandis que l’éclairage du
droit au sein des chambres exécutives est
véhiculé de toute manière par un juriste ne disposant
pas d’une voix délibérative.
Les travaux parlementaires sont relativement muets
sur la justification des modifications apportées aux pouvoirs du
Roi en
matière de composition, si ce c’est qu’ils
relatent que, selon le gouvernement, l’un des buts de la loi du 15 juillet
1985 était de
mieux structurer les organes des instituts professionnels.
C’est par arrêté royal du 27 novembre
1985 (MB 30 janvier 1986), pris en exécution de la loi du 15 juillet
1985, que la loi-cadre de
1976 va trouver enfin application.
Le Roi fixe alors à six le nombre de membres
effectifs de chaque chambre exécutive. Son président et son
vice-président sont
choisis par les membres effectifs (art. 7 §1).
Quant à la chambre d’appel, elle comprend un président et
deux membres effectifs.
Si le Roi précise qu’il peut, pour une profession
déterminée, augmenter à la demande du conseil national
le nombre de
présidents et de membres suppléants
des chambres exécutives (art. 7 §3), il rappelle qu’à
l’exclusion du président des chambres
d’appel, les membres des chambres sont élus
par les personnes inscrites au tableau des titulaires (art. 8 §1).
Cet arrêté royal a connu plusieurs
modifications, introduites, entre autres, par les arrêtés
royaux du 26 octobre 1995 (MB 30
novembre 1995), 30 novembre 1998 (MB 11 décembre
1998) et 12 août 2000 (MB 30 août 2000).
C’est sans conteste l’arrêté du 30
novembre 1998 qui est à l’origine de l’illégalité
de la composition actuelle des chambres
exécutives, une illégalité
qui aurait peut-être été évitée si une
urgence invoquée par le gouvernement n’avait malheureusement
pas conduit celui-ci à s’abstenir de l’avis
du Conseil d’Etat.
Dorénavant (dès mars pour l’Institut
professionnel des agents immobiliers), le président et le président
suppléant de la chambre
exécutive est un magistrat ou un avocat
inscrit depuis au moins dix ans à un tableau de l’ordre, nommé
par le Roi (art. 7 §1).
Ce faisant, le Roi reconnaît lui-même
modifier la composition des chambres exécutives, puisqu’il décrète
(art. 8 §1) qu’à
l’exception des présidents des chambres
d’appel, nommés par lui en vertu de la loi-cadre, et des présidents
de chambre
exécutive, nommés dorénavant
par lui-même en vertu de son arrêté du 30 novembre 1998,
les membres des chambres sont élus
par les titulaires des professions concernées.
Il en résulte que le Roi a soustrait la présidence
des chambres exécutives à un professionnel élu par
ses pairs, en dépit de la loi
et de la seule exception qui y est faite en ce
qui concerne les présidents de chambre d’appel.
2. Nature de l’illégalité : l’excès
de pouvoir
Si le Roi fait les règlements et arrêtés
nécessaires pour l’exécution des lois, sans toutefois pouvoir
jamais ni suspendre les lois
elles-mêmes, ni dispenser de leur exécution
(article 108 de la Constitution), le Roi n’a d’autres pouvoirs que ceux
que lui
attribuent formellement la Constitution et les
lois particulières portées en vertu de la Constitution même
(article 105).
Les pouvoirs du Roi ne se présument donc
pas, ils sont dits « d’attribution ».
Exécuter une loi ne signifie pas qu’on puisse
la modifier sans autorisation expresse de l’auteur de celle-ci. L’Exécutif
ne peut,
d’initiative, étendre la portée de
la loi, ni la modifier, ni combler ses lacunes (Marc Uyttendaele, Regards
sur un système
institutionnel paradoxal, Bruylant, 1997, 462),
il ne peut que développer les règles sans restreindre ou
étendre leur portée, à
l’exception de certains pouvoirs autonomes, par
exemple au niveau des nominations aux fonctions de relations extérieures
et
emplois d’administration générale,
ou d’attribution des titres de noblesse et ordres militaires (R. Ergec,
Introduction au droit
public, Story-Scientia, 1990, 152).
Il découle de ce qui précède
qu’en décidant, contrairement à la situation antérieure,
de nommer à la présidence des chambres
exécutives une personne de son choix, le
Roi a violé la loi-cadre (art. 6 §3) dont on rappellera qu’elle
prévoit que les chambres
exécutives sont composées de membres
élus par leurs pairs, les pouvoirs du Roi étant limités
à déterminer leur nombre, leurs
conditions d’éligibilité et les modalités
d’élection, outre les règles de fonctionnement des chambres.
3. Sanction de l’excès de pouvoir
Deux arrêtés royaux sont concernés
: l’arrêté du 30 novembre 1998 modificatif de l’arrêté
royal du 27 novembre 1985
déterminant les règles d’organisation
et de fonctionnement des instituts professionnels créés pour
les professions
intellectuelles prestataires de services, et l’arrêté
du 4 mars 2001 (MB 30 mars 2001) nommant les présidents et présidents
suppléants des chambres exécutives.
La Constitution impose aux tribunaux de n’appliquer
les arrêtés et règlements généraux, provinciaux
et locaux qu’autant qu’ils
seront conformes aux lois (art. 159).
Par tribunaux, il y a lieu d’entendre également
les juridictions légalement établies des ordres et instituts
professionnels.
Selon la Cour de cassation, toute juridiction contentieuse
est visée par le principe constitutionnel évoqué de
contrôle de
légalité. Elle rappelle ce principe
dans des décisions relatives, par exemple, à l’ordre des
médecins (cassation, 20 juin 1997,
Pas., 1997, n° 290) et l’ordre des avocats
(cassation, 11 février 2000, n° rôle D990017F).
La circonstance que les arrêtés incriminés
n’auraient pas fait l’objet de recours ou de censures au niveau du Conseil
d’Etat n’a
pas pour effet de diminuer l’obligation impartie
par la Loi fondamentale aux tribunaux.
Ces derniers, s’ils ne disposent pas du pouvoir
de les annuler, sont néanmoins astreints à refuser de les
appliquer en leurs
aspects illégaux.
On en arrive à une situation juridiquement
particulière dans laquelle les tribunaux doivent rejeter l’application
d’actes
administratifs illégaux sans limite dans
le temps, même si ces actes n’ont pas fait l’objet de recours auprès
du Conseil d’Etat
dans les délais légaux, ou même
si des recours en annulation de ces actes ont été rejetés
par la haute juridiction administrative.
La Cour de cassation affirme ainsi dans des décisions
du 7 novembre 1975 (cité également par A. Vanwelkenhuysen,
l’Autorité
de chose jugée des arrêts du Conseil
d’Etat en matière de responsabilité de la puissance publique,
R.C.J.B., 1977, 417 et 441) et
9 janvier 1997 (Pas., 1997, n° 20), que le
recours en annulation institué par les lois sur le Conseil d’Etat
ne porte pas atteinte à la
règle constitutionnelle de contrôle
des tribunaux « à posteriori ».
Comme nous le verrons plus loin, la cour suprême
estime que, si tel était le cas, le rejet même d’un recours
en annulation ne
signifie pas que l’acte attaqué n’est entaché
d’aucune irrégularité, mais simplement que les moyens invoqués
par le requérant
n’ont pas été admis par le Conseil
d’Etat. Le rejet n’entame en rien le pouvoir des cours et tribunaux de
déclarer un acte illégal.
Ceux-ci ne sont donc nullement liés par
la décision de la juridiction administrative, même si devant
eux la nullité de l’acte
réglementaire est invoquée sur le
fondement du même moyen.
Plus que la consécration de la protection
du citoyen contre l’arbitraire de l’administration, le contrôle de
légalité des actes
réglementaires participe de l’état
de droit qui implique, entre autres, le respect par le gouvernement et
l’administration des règles
qui déterminent leurs pouvoirs. Les tribunaux
sont gardiens de l’ordre juridique et doivent proclamer la primauté
de l’obligation
constitutionnelle sur toute autre règle
de droit. L’absence d’annulation d’un acte devant le Conseil d’Etat n’a
pas pour effet de
conférer à cet acte un label de légalité
: la création du Conseil d’Etat, postérieure à la
règle constitutionnelle de contrôle de
légalité, est sans effet sur celle-ci
(avis de l’avocat général J. de Bisthoven précédant
cassation, 21 avril 1988, Pas., I, 983).
Les arrêtés royaux des 30 novembre
1998 et 4 mars 2001 ont pour effet une modification illégale de
la composition des chambres
exécutives. Or, constituent des règles
essentielles de l’administration de la justice et sont donc d’ordre public
les règles qui
concernent la composition d’une juridiction (en
l’occurrence disciplinaire, cassation, 30 avril 1982, Pas., I, 993).
Le code judiciaire stipule que le jugement ne peut
être rendu, à peine de nullité, que par le nombre prescrit
de juges (article 779).
Les arrêtés royaux précités
contreviennent également à cette règle, puisqu’ils
adjoignent sans habilitation légale aux membres
élus des chambres exécutives des
personnes directement nommées par le Roi, qui ont voix délibérative,
et prépondérante en cas
de partage des voix.
La Cour de cassation censure des décisions
rendues par des juridictions composées en violation de la Constitution,
du code
judiciaire, et du droit à bénéficier
d’un tribunal indépendant et impartial établi conformément
à la loi, tel que d’ailleurs reconnu
par la Convention européenne de sauvegarde
des droits de l’homme et des libertés fondamentales (article 6.1)
(cassation, 24 mars 1998, Bull.arr.cass., 1998
; 391 – siège composé d’un magistrat de trop lors de l’accomplissement
d’un acte
d’instruction ; 30 octobre 1996, Pas., I, 1039
– jugement non rendu par le nombre prescrit de juges ; 23 décembre
1996, Pas., I,
1321 – cour du travail composée de membres
autres que ceux expressément prévus par la loi ; 20 mai 1992,
Pas., I, 827 – tribunal
correctionnel composé de quatre juges lors
de la lecture du procès-verbal d’audience ; 4 décembre 1991,
Pas., 1992, 262 –
présence au sein d’une commission de défense
sociale d’un avocat n’étant plus désigné comme membre
effectif ou suppléant;
5 février 1982, J.T., 1983, 311 – avocat
appelé à siéger par le président d’une chambre
alors qu’il n’était pas encore inscrit au
tableau de l’ordre ; cassation, 30 avril 1982 précité
; 15 septembre 1981, Pas. I, 1982, 76 – conseil d’enquête maritime
composé
d’un seul assesseur mécanicien au lieu des
deux légalement prévus ; également Travail Mons, 9
mars 2001, n° rôle 14002 ;
Appel Anvers, 14 septembre 1994, R.D.P.C, 1995,
731 ; Appel Bruxelles, 17 décembre 1987, Pas., 88, II, 77).
La violation d’une règle d’ordre public,
telle la régularité de la composition d’une juridiction,
doit être soulevée d’office par les
tribunaux ; à défaut, les parties
intéressées sont habilitées à faire état
d’une telle transgression lors de chaque recours, et le cas
échéant pour la première fois
devant la Cour de cassation (cassation, 27 février 1987, Pas., I,
775).
En règle générale, la sanction
de cette violation est l’annulation de la décision rendue par la
juridiction irrégulièrement composée
(cassation, 5 février 1982 précité).
A l’IPI, c’est aux chambres d’appel, valablement
saisies de recours contre des décisions des chambres exécutives,
qu’il
appartiendrait de prononcer d’office l’annulation
des décisions rendues en première instance par un siège
irrégulièrement
composé. Une chambre d’appel violerait elle-même
la constitution et le code judiciaire en n’annulant pas une décision
appliquant les dispositions illégales de
règlements, en l’occurrence les arrêtés royaux du 30
novembre 1998 et du 4 mars 2001.
La Cour de cassation décide qu’en appliquant
un arrêté royal illégal dont elle constate l’irrégularité,
une décision viole la
constitution (cassation, 21 avril 1988, Pas., I,
983). L’annulation de la décision rendue par un tribunal irrégulièrement
constitué
s’impose en principe en toutes circonstances :
la décision d’appel qui ne mettrait pas à néant le
jugement dont appel, mais qui,
moyennant quelques émendations, le confirme,
s’approprie la nullité (cassation, 9 octobre 1990, Pas. 1991, I,
143 ; également 16
octobre 1986, Pas., I, 1987, 197 ; 23 mai 1985,
J.T., 1986, 705).
4. Les ambiguïtés et les contradictions
de la chambre exécutive IPI d’expression francophone
Environ sept mois après son installation,
le 25 septembre 2001 (décision Crasset précitée),
la chambre exécutive francophone de
l’institut des agents immobiliers reconnaît,
dans le cadre d’une procédure disciplinaire, mais à la seule
invitation de la partie
poursuivie, qu’elle est irrégulièrement
composée, chose qu’elle avait pourtant légalement l’obligation
de constater dès mars
2001.
La chambre se réfère à l’article
159 de la Constitution pour rejeter les modifications introduites dans
sa composition par l’arrêté
royal du 30 novembre 1998.
Dans une autre cause, ultérieurement soumise
le même jour à cette juridiction (décision A.J, CD2),
et au cours de laquelle la
personne poursuivie n’élève pas l’objection
d’illégalité de sa composition, la chambre exécutive
affirme derechef la légalité de
celle-ci. Il apparaît qu’entre-temps, la
chambre a décidé de n’admettre le vice de sa composition
et de ne mettre en conséquence
fin aux poursuites que dans l’hypothèse
où il serait soulevé par la partie concernée.
Le 26 octobre 2001, en exergue aux audiences du
jour, le président de la chambre exécutive lit publiquement
une note par
laquelle, quoique la chambre reconnaisse l’irrégularité
de sa composition, elle déclare, au nom du principe du service public,
qu’elle poursuivra le traitement des affaires nonobstant
les objections éventuelles élevées par les plaideurs
au sujet de sa
composition. Elle demande au ministère
de tutelle de faire procéder pour le 31 janvier 2002 aux modifications
législatives ou
réglementaires qui s’imposent, sous peine
de ne plus siéger à partir du 1er février 2002.
Quelques jours plus tard, elle renonce à
cet ultimatum et décide, pour le cas de carence de l’autorité,
de poursuivre ses missions
au-delà du 1er février 2002, le commissaire
du gouvernement ayant de son côté fait part au conseil national
de l’institut du refus
du ministère de tutelle de faire modifier
les textes litigieux.
Que penser de l’argumentation de la chambre exécutive
: tout d’abord l’appel à la notion de service public, ensuite, celle
développée ultérieurement,
selon laquelle, nonobstant l’illégalité de la modification
de la composition du siège introduite par
l’arrêté royal du 30 novembre 1998,
on ne pourrait ignorer l’arrêté royal du 4 mars 2001 portant
nomination des présidents et
présidents suppléants des chambres
exécutives, arrêté qui n’a fait l’objet d’aucun recours
auprès du Conseil d’Etat, ni les
« efforts très louables des représentants
des agents immobiliers pour réglementer leur profession»,
quand bien même « l’on
pourrait comprendre que les textes actuellement
en vigueur suscitent certaines controverses » (décision disciplinaire
L., 27
novembre 2001, D1103) ?
Le service public, dont sont chargés les
instituts professionnels régis par la loi-cadre du 1er mars 1976
(inscription des
stagiaires et des titulaires, justice disciplinaire,
...) obéit à quelques règles fondamentales, dont le
principe de continuité.
Il ne saurait en effet être question que les
services publics, créés par les pouvoirs publics pour satisfaire
les besoins collectifs
d’intérêt général puissent
être interrompus.
La continuité de l’action des pouvoirs publics,
condition essentielle de son existence, exige que jamais ils ne se trouvent
placés
dans l’impossibilité de remplir leurs missions
(cassation, 8 janvier 1952, cité par F. Dumont, Mercuriale du 1er
septembre 1975,
J.T., 1975, 547).
La chambre exécutive se réfère,
du moins implicitement, au niveau de la nomination illégale de son
président, à la théorie du
fonctionnaire de fait.
En période de circonstances exceptionnelles,
lorsque les autorités constituées sont dans l’impossibilité
d’exercer leurs
fonctions, les actes accomplis par des personnes
irrégulièrement investies peuvent en effet être toutefois
considérés comme
valables (J. Velu, Droit public, Bruylant, 1986,
115).
Les cas d’autorités défaillantes sont
rares. Une décision de la cour suprême permet cependant de
trouver pourtant un exemple
en matière disciplinaire. Par arrêt
du 9 décembre 1977, la haute juridiction a en effet estimé
que la continuité du service public,
principe général de droit, validait
le mandat électif de juge disciplinaire venu à expiration
au sein de l’ordre des médecins
(cassation, 9 décembre 1977, Pas., 1978,
I, 409).
En décidant de poursuivre ses missions au-delà
du 31 janvier 2001, la chambre francophone mettait certes fin à
un étrange
paradoxe : faire application des impératifs
du service public avec des effets limités dans le temps (31 janvier
2002).
Mais en faisant appel au concept de service public
(tout comme aux desseins des représentants des agents immobiliers)
pour
déclarer sa composition régulière
(décision L précitée), elle crée elle-même
une contradiction flagrante, car l’appel à la notion du
service public est destiné en fait à
pallier une irrégularité avérée, non à
la purger. Il eût été plus logique pour la chambre
de se
déclarer irrégulièrement constituée
et de décider de poursuivre néanmoins ses missions au nom
de l’intérêt général.
En réalité, il est de toute façon
incontestable que l’argument du service public utilisé par la chambre
exécutive pour valider sa
propre composition est fallacieux, car il ne résiste
pas à l’analyse de sa condition d’application : l’entrave portée
au service
public.
Or, il n’y a aucun obstacle au fonctionnement organique
des chambres exécutives des instituts professionnels, puisque la
loi-cadre stipule qu’elles sont composées
de membres élus par leurs pairs (et tel fut effectivement le cas
avant l’entrée en
vigueur de l’arrêté royal contesté
du 30 novembre 1998).
Ce sont en fait les chambres exécutives elles-mêmes
qui font obstruction à l’exercice légal de leur mission de
service public
lorsqu’elles n’écartent pas d’autorité
un président non élu par les professionnels.
En effet, le rejet de l’application de l’arrêté
royal du 4 mars portant nomination de l’intéressé (et de
son suppléant) s’impose
tout autant que celui des dispositions illégales
de l’arrêté royal du 30 novembre 1998.
L’obligation constitutionnelle faite aux tribunaux
de rejeter les arrêtés et règlements non conformes
aux lois ne fait pas de
distinction quant à la nature de l’acte
administratif : sont visés non seulement les actes réglementaires,
au caractère général et
absolu, mais également les actes individuels,
tels ceux accordant une promotion (Ergec, op.cit., 163), et ce, même
en l’absence
de recours auprès de Conseil d’Etat ou alors
même qu’un recours en annulation serait rejeté par cette juridiction
(A. Vanwelkenhuysen, op.cit., 421 ; contra, D.
Lagasse, De l’antinomie entre les principes de la légalité
et de la sécurité juridique,
J.T., 1988, 482 ; l’auteur acte toutefois la décision
de principe de la cour de cassation du 21 avril 1988 –cf infra- parue
postérieurement à la rédaction
de son article).
Telle est également l’opinion de la Cour
de cassation : l’article 159 de la Constitution (article 107 ancien) est
rédigé en termes
généraux et ne fait aucune distinction
entre les actes qu’il vise ; il s’applique aux décisions même
non réglementaires de
l’administration et aux actes administratifs, fussent-ils
individuels (cassation, 12 septembre 1997, Pas., I, 349 ; 9 janvier 1997,
Pas., I, 20; 10 novembre 1992, Pas., 1992,
I, 1245 ; 21 avril 1988, R.C.J.B., 1990, 402). « La compétence
des cours et tribunaux
n’est entravée ni par la circonstance que
la décision administrative individuelle préjudiciable pourrait
donner lieu à un recours
en annulation devant le Conseil d’Etat, ni par
la circonstance qu’un tel recours a été introduit, ni par
la circonstance que la
décision administrative n’est plus susceptible
d’annulation et est dès lors définitive » (cassation,
7 novembre 1975, R.C.J.B.,
1977, 417 ; voir également cassation, 12
septembre 1997 précité). « Le rejet par le Conseil
d’Etat d’un recours en annulation ne
signifie pas que la décision attaquée
n’est entachée d’aucune irrégularité, mais simplement
que les moyens invoqués par le
requérant n’ont pas été admis
par le Conseil d’Etat et que la décision n’est pas viciée
par une irrégularité qui doit être soulevée
d’office par le juge.
Le rejet d’un recours par le Conseil d’Etat n’entame
en rien le pouvoir des cours et tribunaux de déclarer illégale
cette décision
sur base de l’article 107 de la constitution (article
159 nouveau) ». Un arrêt par lequel le Conseil d’Etat rejette
un recours en
annulation d’un acte réglementaire ne lie
pas les cours et tribunaux (cassation, 24 mars 1977, Pas., I, 789).
Bien qu’elle ne mérite pas que l’on s’y attarde,
tout aussi critiquable est la motivation de nature politique de la chambre
exécutive francophone. Outre qu’elles dépassent
le champ de la rigueur et de l’objectivité juridique, les louanges
appuyées
de cette chambre à l’égard des instigateurs
de la réglementation de l’accès et de l’exercice de la profession
d’agent immobilier,
dont elle est théoriquement indépendante,
ne saurait légalement justifier son refus de censurer les dispositions
illégales de
l’arrêté royal du 30 novembre 1998
ainsi que l’arrêté du 4 mars 2001 portant nomination de son
président.
En affirmant à la face du justiciable poursuivi
qui lui soulève l’objection d’irrégularité de sa composition
que « les représentants
de la profession d’agent immobilier ont déployé
de tels efforts –au demeurant très louables- pour réglementer
leur profession
qu’apparaît comme quelque peu obscure la
préoccupation de quelques uns de vouloir ainsi mettre à mal
la réglementation
déontologique » et que « pour
toutes ces considérations, elle s’estime régulièrement
composée », la chambre exécutive, par une
prise à partie incompatible avec la sérénité
nécessaire à l’action de la justice, rend une décision
d’ordre général qui sacrifie de
manière douteuse la légalité
et les droits de la défense sur l’autel d’une raison d’état
propre à un institut et non au législateur.
On espèrera que cette motivation singulière,
qui fait peu d’honneur à l’idéal de justice et au professionnalisme
juridique, et de
nature à susciter des questions légitimes
sur l’indépendance et l’impartialité de la chambre exécutive,
restera isolée.
Peu de temps avant le prononcé de cette décision
éminemment contestable, une note interne, datée du 12 octobre
2001, circulait
au sein de l’institut professionnel des agents
immobiliers : elle reconnaissait, d’une part, que le ministre de tutelle,
à l’origine de
la modification par le Roi de la composition des
chambres exécutives, avait agi « dans un certain flou législatif
», mais d’autre
part attirait l’attention des responsables sur
les « conséquences désastreuses qu’aurait pour cet
institut et pour toutes les
autres professions intellectuelles prestataires
de services réglementées une décision affirmant que
les chambres exécutives
sont irrégulièrement composées.
»
Ce type d’argumentation, relevant inutilement de
la raison d’état puisque les chambres exécutives peuvent
valablement
fonctionner sans présidence « externe
», est tout de même révélateur d’un débat
éternel dont l’intensité diminue heureusement
au fil des siècles, sur l’intérêt
de restaurer la légalité à l’égard d’actes
illicites des pouvoirs publics, lorsque le rétablissement de
l’état de droit représenterait pour
les autorités plus d’inconvénients que de bienfaits.
Les décisions du Conseil d’Etat et des tribunaux
en matière d’annulation ou de refus d’appliquer des actes administratifs
illégaux attestent du rejet d’une philosophie
aux effets souvent pervers, selon laquelle « le désordre qui
naîtrait d’une censure
serait plus dangereux pour la sécurité
juridique que le maintien de l’illégalité alléguée
» (P. Martens, L’exception d’illégalité :
entre l’injustice et le désordre, J.L.M.B.,
1988, 1535, avec référence à un arrêt du Conseil
d’Etat du 2 septembre 1987).
Autre symptôme des difficultés que
connaît la chambre exécutive francophone de l’institut des
agents immobiliers dans sa
«compréhension » des textes,
en particulier ceux régissant sa propre procédure, est son
affirmation selon laquelle en matière
disciplinaire, la citation à comparaître
n’émane pas de son président.
Lors des débats précédant le
délibéré de la cause où elle s’est prononcée
en ce sens (dossier L., 27 novembre 2001 précité),
le président affirma que la décision
de citer émanait du rapporteur chargé d’instruire le dossier.
On notera, pour l’anecdote, que dans une autre cause,
un rapporteur, estimant fondé un grief à l’égard d’une
personne
poursuivie,concluait son rapport par les termes
« je renvoie dès lors ce dossier devant la chambre exécutive.
»
L’arrêté royal du 27 novembre 1985
stipule que le président de la chambre exécutive, informé
d’un manquement ou saisi d’une
plainte en matière disciplinaire peut désigner
un membre effectif ou suppléant chargé d’instruire l’affaire.
Celui-ci lui fait rapport
(art. 49).
Il est donc clair que le président de la
chambre exécutive décide de l’opportunité d’ouvrir
une enquête.
Dans l’affirmative, il transmet le dossier au rapporteur
qui fait office de juge d’instruction et transmet comme ce dernier un
rapport à l’issue d’un examen à charge
et décharge.
Ce qui constitue un rapport d’instruction ne correspond
pas à une saisine de juridiction, et qui plus est, est formellement
interdit
le cumul des fonctions d’instruction et de poursuite
(cassation, 6 septembre 2000, rôle n° P001325F ; H. Bosly et
D. Vandermeersch, Droit de la procédure
pénale, La Charte, 1999, 20).
C’est le président de la chambre exécutive
qui décide, sur base des éléments contenus dans ce
rapport, de faire ou non citer
devant la chambre la personne qui a fait l’objet
de l’enquête.
Il reste donc à nouveau libre de classer
l’affaire sans suite ou de la déférer à l’organe de
jugement, et c’est en ce sens qu’il y
a lieu de comprendre dans le second cas l’affirmation
de la chambre exécutive selon laquelle son président «
déclare l’affaire en
état d’être jugée » (décision
L., 27 novembre 2001 précitée).
Ce faisant, il lui est interdit de siéger
ultérieurement en la même cause en raison de l’interdiction
légale absolue de cumuler les
fonctions de poursuites et de jugement (est nulle
la décision rendue par un juge qui a précédemment
connu de la cause dans
l'exercice d'une autre fonction judiciaire - code
judiciaire, art. 292; cassation, 22 octobre 1971, Pas., 1972, I, 179).
5. Conséquences de la censure
Une fois prononcée l’annulation d’une décision
rendue par une juridiction inférieure irrégulièrement
composée, se pose la
question de la suite de l’instance. Si la juridiction
irrégulièrement composée a rendu sa décision
en dernier ressort, la Cour de
cassation décidera en principe du renvoi
de la cause à une juridiction de même degré légalement
composée, sous réserve des
conditions strictes d’application exceptionnelle
de la théorie du fonctionnaire de fait.
Si, par contre, la cause est au stade de l’appel,
le tribunal saisi doit-il juger au fond ou mettre fin de plano à
l’instance ?
A priori, la réponse à cette question
réside dans l’article 2 du code judiciaire, selon lequel les règles
y énoncées s'appliquent à
toutes les procédures, sauf lorsque celles-ci
sont régies par des dispositions légales non expressément
abrogées ou par des
principes de droit dont l'application n'est pas
compatible avec celle des dispositions dudit code.
L’une de ces règles applicables « par
défaut » est l’article 1068 : tout appel d'un jugement définitif
ou avant dire droit saisit du
fond du litige le juge d'appel. On notera que cette
disposition est de caractère général : elle n’opère
pas de distinction sur le
fondement de l’appel, que ce dernier aboutisse
à une annulation, à une simple réformation ou à
une confirmation de la décision
attaquée.
Le tribunal chargé de l’appel connaîtra
donc en principe du fond du litige en application de ce qu’on nomme l’effet
dévolutif
de l’appel (cassation, 2 juin 2000, n° rôle
C990186nt ; 26 novembre 1998, Bull.arr.cass., 1998, 1159 ; 30 septembre
1996,
Pas., I, 886 ; 5 octobre 1990, Pas., 1991, I, 117
; 18 juin 1976, Pas., I, 1129 ; cour du travail Mons, 9 mars 2001 précité).
Si le réexamen du fond d’une affaire par
une juridiction d’appel est concevable lorsque des griefs portent sur les
mérites d’une
décision rendue en premier ressort par une
juridiction légalement composée, on peut se demander si,
par contre, l’effet
dévolutif est de rigueur lorsque la décision
attaquée est rendue par un tribunal irrégulièrement
constitué. La Cour de cassation
tranche généralement en ce sens,
dans la mesure où, selon elle, le double degré de juridiction
n’est pas un principe de droit
applicable, que ce soit au niveau du droit interne
qu’à celui de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme
et des
libertés fondamentales.
Cette jurisprudence s’est trouvée à
s’appliquer tant en matière civile, commerciale que pénale
et disciplinaire.
Le tribunal chargé de l’appel devra néanmoins
éviter un écueil de taille, sous peine de se voir lui-même
censuré :
l’appropriation de la motivation de la décision
annulée. En se fondant en ce cas sur les motifs d’un jugement dont
appel,
la décision d’appel s’approprie la nullité
de celle-ci et est, elle aussi, entachée de nullité (cassation,
26 septembre 1986,
Pas., 1987, 111 ; également 24 mars 1998
précité), même si elle confirme en partie une décision
nulle pour procéder à une mesure
d’instruction (cassation, 27 octobre 1999, Bull.arr.cass,
1999, 1402). Par contre, le juge d'appel ne s'approprie pas la nullité
dont
est entaché un jugement en raison de la
composition irrégulière du siège de la juridiction
qui la rendu, lorsque, sans confirmer
ledit jugement, il ne statue que sur la base de
l'examen et de l'instruction de la cause auxquels il a procédé
lui-même
(cassation, 8 avril 1986, Pas., I, 957).
On signalera toutefois que la jurisprudence de la
Cour suprême n’est pas toujours univoque. Récemment, elle
a curieusement
et paradoxalement estimé, dans une affaire
répressive, que lorsque les juges d’appel décident «
d’adopter la motivation
judicieuse du premier juge », ils donnent
ainsi des motifs propres et ne s’approprient pas la nullité du jugement
dont appel en
raison de l’irrégularité dans la
composition du siège (cassation, 4 avril 2001, n° rôle
P001595Nt).
Elle avait jugé déjà antérieurement
que lorsqu’une sentence disciplinaire dont appel est nulle pour avoir été
rendue par une
juridiction qui, en raison de sa composition, ne
satisfait pas aux exigences du principe général du droit
relatif à l'impartialité du
juge, n'est pas entachée de nullité
la décision de la juridiction d'appel qui déclare confirmer
la décision dont appel, mais en se
fondant exclusivement sur des motifs propres (cassation,
27 février 1987, Pas., I, 775).
Comme on le constate, cette jurisprudence est en
contradiction avec les nombreuses décisions contraires rendues
antérieurement et ultérieurement
par la haute juridiction en matière d’annulation obligatoire des
décisions rendues par un
tribunal irrégulièrement composé
(cf. les références citées supra, en particulier cassation,
9 octobre 1990, Pas. 1991, I, 143).
Face à cette situation, la raison et la prudence
commandent, après l’annulation d’une décision rendue par
une juridiction
irrégulièrement composée,
de l’annuler, de l’écarter et de rejuger sur base d’une nouvelle
instruction, en d’autres termes, de
reprendre le dossier à zéro.
6. Exception à la règle de
l’effet dévolutif
Les Chambres d’appel connaissent de l’ensemble des
affaires qui lui sont déférées (A.R. 27 novembre 1985,
art. 61)
Pourtant, il y a lieu de s’interroger sur le caractère
absolu de l’effet dévolutif. Ce dernier ne serait-il pas tempéré
dans certaines
hypothèses en matière disciplinaire,
où les personnes poursuivies encourent des sanctions de nature à
porter atteinte à leur
réputation ou leur liberté économique
?
La question se pose plus particulièrement
lorsque ces personnes sont attraites devant un tribunal répressif
en vertu d’un acte
de procédure irrégulier ou émanant
d’une personne sans qualité pour le poser.
Il est à ce stade rappelé que c’est
le président de la chambre exécutive qui décide de
citer devant celle-ci la personne poursuivie,
au vu de l’instruction opérée par
le rapporteur.
En procédure civile, l’effet dévolutif
permet à l’instance d’appel de « neutraliser l’effet produit
par l’annulation des décisions
attaquées » en poursuivant le traitement
des dossiers (M.F De Power, L’effet de l’appel de droit judiciaire privé,
Act. Dr., 1991,
646).
Cette solution, qui s’impose lorsque sont annulés
des actes accomplis lors de la première instance (la juridiction
d’appel
procèdera en ce cas à la rectification
des erreurs matérielles), est beaucoup moins évidente lorsque
les actes viciés ont été
posés avant l’instance elle-même.
De manière surprenante, la Cour de cassation
a, en 1988, dans le cadre d’une procédure civile, estimé
que l’effet dévolutif
couvre la nullité d’un exploit introductif
d’instance (cassation, 5 mai 1988, R.C.J.B., 1989, 521 ; également,
Appel Bruxelles,
1er décembre 1988, Ann.dr.Liège,
1989, 398) ; en d’autres termes, la saisine irrégulière du
premier juge ne ferait pas obstacle à
ce que le juge d’appel statue au fond.
Cette décision est fortement critiquée
par la doctrine, (M.F De Power, op.cit.) qui s’interroge sur le réel
intérêt de
l’annulabilité des vices de formes, telle
que stipulée par le code judiciaire, puisque l’effet dévolutif
d’un recours aurait pour
conséquence automatique la disparition d’une
nullité censée légalement être prononcée
(G. De Leval, l’Effet dévolutif de l’appel
peut-il couvrir la nullité d’un acte introductif
d’instance?, note sous Appel Bruxelles, 1er décembre 1988, Ann.dr.Liège,
1989,
398 ss.)
Les esprits seront particulièrement heurtés
en matière répressive et disciplinaire par le fait qu’il
suffirait à une personne ou un
organe d’interjeter appel pour qu’un acte de saisine
irrégulier soit de facto régularisé.
En effet, on ne voit pas pourquoi un acte introductif
d’instance nul en la forme, qui plus est émane d’une personne non
habilitée, possèderait quelque effet
juridique en appel dès lors qu’il n’en dispose aucun en première
instance, celle-ci étant
atteinte en son principe même. Au contraire,
l’effet dévolutif suppose la saisine régulière du
premier juge (J. van Compernolle,
Considérations sur l’effet dévolutif
de l’appel dans le code judiciaire, R.C.J.B., 1989, 521), en sorte que
les malfaçons qui
affectent un acte introductif d’instance persistent
en degré d’appel (G. De Leval, op.cit.).
On notera que l’enseignement de la cour suprême
n’a pas fait l’unanimité, même en matière civile (Appel
Mons, 21 mai 1991,
rôle n° 10.002, cité par M.F De
Power, op.cit.).
Les principes de l’effet dévolutif en procédure
civile (art. 1068 du code judiciaire) ne s’appliquent pas à la procédure
répressive
(cassation, 4 juin 1986, Pas., I,1215 ; 21 septembre
1977, Pas., 1978, I, 91 ; 13 mars 1972, Pas., I, 650).
Par contre, ils gouverneraient les procédures
disciplinaires, selon la Cour de cassation qui semble rejeter à
première vue
l’analogie avec la procédure pénale
(cassation, 18 février 1994, Pas., I, 120; 21 janvier 1983, Pas.,
594; 29 juin 1979, Pas., I, 1295).
La procédure disciplinaire des instituts
professionnels, telle qu’organisée par la loi-cadre du 1er mars
1976 et l’arrêté royal du
27 novembre 1985, possède pourtant davantage
les caractéristiques d’une procédure pénale que d’une
procédure civile.
La spécificité de la procédure
disciplinaire a d’ailleurs amené la Cour de cassation à juger
que certaines disposition du code
judiciaire (qui est, pour rappel, en principe le
système de référence de toutes les procédures)
ne s’y appliquent pas. Il en est
ainsi, par exemple, des dispositions relatives
au témoignage (cassation, 3 septembre 1998, Bull.arr.cass., 1998,
n° 381).
En procédure pénale, une juridiction
d’appel saisie d’un appel d’un jugement d’avant dire droit n’a d’obligation
de juger
(évoquer) au fond que lorsqu’elle annule
le jugement pour un autre motif que l’incompétence du premier juge
ou le défaut de
saisine (code d’instruction criminelle, art. 215
; Appel Anvers, 14 septembre 1994, R.D.P.C., 1995, 731).
Il faut donc que le premier juge ait été
légalement saisi, ce qui n’est pas le cas lorsqu’une affaire a été
portée devant lui en vertu
d’un acte introductif d’instance entaché
d’une irrégularité substantielle (M. Franchimont, A. Jacobs,
A. Masset, Manuel de
procédure pénale, Liège, Collection
scientifique de la faculté de droit de Liège et Jeune Barreau
de Liège, 1989, 880; H. Bosly
et D. Vandermeersch, Droit de la Procédure
pénale, La Charte, 2001, 1011).
La règle selon laquelle ne peuvent être
traités au fond en appel des dossiers portés illégalement
à la connaissance du premier
juge est également de rigueur lorsque celui-ci
a vidé sa saisine par une décision définitive (R.
Vertstraeten, Handboek
Strafvordering, Maklu, 1994, 523, n° 1635
; R. Declercq, Beginselen van Strafrechtspleging, Kluwer Rechtswetenschappen,
1999, 857, n° 2015 ; voir également
cassation, 7 mai 1986, Pas., I, 1079 ; 18 décembre 1973, Pas., 1974,
418).
Décider du contraire reviendrait à
permettre d’espérer, même en degré d’appel, la condamnation
de personnes illégalement
poursuivies, et c’est précisément
en cela que se remarquent particulièrement les effets pervers de
la jurisprudence récente de la
Cour de Cassation sur l’effet dévolutif
en procédure civile, qui ne saurait être décemment
transposée en matière disciplinaire,
dans le cadre de poursuites ayant pour objet, à
l’instar de la procédure pénale, l’examen de transgressions
présumées et
éventuellement l’application de sanctions.
7. Rétablir la légalité
de la composition des chambres exécutives
Sur le plan juridictionnel, il n’appartient évidemment
pas aux tribunaux chargés de contrôler la composition des
chambres
exécutives de procéder d’autorité
aux réformes qui s’imposent.
Tel est le rôle des chambres exécutives
elles-mêmes.
Il s’agit aussi pour celles-ci, à côté
d’une obligation légale déjà incontournable, d’une
nécessité morale.
Continuer à siéger sciemment, de manière
permanente, dans une composition irrégulière ne peut en principe
qu’entraîner en
cas de recours l’annulation systématique
par les juridictions supérieures (au premier chef les Chambres d’appel)
de toutes les
décisions attaquées.
Une telle situation porte atteinte à la conscience
et à la crédibilité des membres des chambres exécutives,
en particulier de ses
juristes, c’est-à-dire leur président
actuel et l’assesseur, ce dernier étant spécialement chargé
d’assister les chambres exécutives
et surtout de les contrôler, à lire
les travaux préparatoires de la loi-cadre.
Elle rend aussi le travail des chambres exécutives
psychologiquement peu valorisant, puisque généralement accompli
en pure
perte.
La solution se trouve pourtant « à
portée de main » : elle est offerte par l’article 159 de la
Constitution et l’obligation faite aux
tribunaux de rejeter l’application d’actes administratifs
non conformes à la loi.
Il ne s’agit pas de censurer l’intégralité
de l’arrêté royal du 30 novembre 1998, mais uniquement ses
dispositions illicites.
En effet, un tribunal ne peut refuser d’appliquer
la partie d’un acte réglementaire qui ne serait pas entachée
d’illégalité
(cassation, 4 juin 1996, Pas., I, 207)
Une fois écartées celles relatives
à la présidence « externe » des chambres exécutives,
le droit et la logique commandent de se
référer aux textes antérieurs
illégalement modifiés, en particulier les articles 7 §3,
8 §1 et 43 de l’arrêté royal du 27 novembre
1985, tel que modifié par les arrêtés
royaux des 26 octobre 1995 et 12 août 2000 : à l’exclusion
du président des chambres
d’appel, désigné par le Roi, l’élection
des membres des chambres se fait par les personnes inscrites au tableau
des titulaires,
et les membres effectifs des chambres exécutives
élisent leur président et son suppléant.
Certes, la légalité a parfois ses
effets douloureux, en particulier lorsqu’elle influe sur la situation personnelle
de responsables
chargés de l’appliquer.
Si l’ascendant moral naturel dont disposent les
présidents actuels des chambres exécutives sur leurs collègues
non-juristes
et le réflexe de corps d’une autorité
plongée dans la tourmente du droit et de la conscience rendent malaisé
le retrait forcé de
ceux qui nuisent en son sein au bon fonctionnement
de la justice, c’est réellement à ces derniers qu’il incombe
de transcender
leur statut et leurs ambitions personnelles en
prenant l’initiative de s’écarter volontairement du rôle auquel
ils auront
eux-mêmes postulés.
La question se pose avec d’autant plus de gravité
lorsque les chambres exécutives ont à connaître en
dernier ressort d’appels
de décisions rendues par la commission de
stage (ce qui est le cas lorsqu’un agent immobilier a été
radié par ladite commission
de la liste des maîtres de stage).
En effet, si la partie intéressée
s’estime lésée par la décision rendue en appel par
une chambre exécutive irrégulièrement
composée, il ne lui reste qu’un recours
en cassation, c’est-à-dire une procédure non suspensive,
onéreuse et longue, au terme
de laquelle la cour suprême devrait être
logiquement casser la décision attaquée pour vice de composition
et renvoyer la cause
à la même chambre autrement -et régulièrement-
constituée.
A défaut de retrait de son président,
une chambre exécutive devrait réagir en fonction du type
de procédure dont elle a à
connaître (nous laissons de côté
la question de sa compétence en matière d’arbitrage d’honoraires).
En procédure administrative, seul subsiste
l’espoir d’une décision favorable à la partie comparaissant
devant elle, et, en ce cas,
d’une absence de recours de l’assesseur juridique...
En procédure disciplinaire, elle devrait,
en raison d’une citation émanant d’une personne non légalement
habilitée à intenter des
poursuites (et qui de surcroît exerce une
fonction de juge en son sein), déclarer celles-ci irrecevables et
mettre fin ipso facto à
l’instance, à l’instar de ce doivent décider
les juridictions pénales de première instance (ex. : correctionnel
Dinant, 6 juin 1990,
R.D.P.C., 1990, 1023).
CONCLUSION
Il n’est guère de juges qui ne posent depuis
longtemps comme principe qu’un acte de saisine posé par un magistrat
incompétent est inopérant pour saisir
valablement un tribunal (Appel Liège, 13 juillet 1859, Pas., 1860,
II, 36).
Il est plus généralement malaisé
de trouver en matière répressive des décisions rendues
sur le fond par des magistrats de
première instance constatant que leur saisine
repose sur des actes substantiellement viciés.
En ce sens, la chambre exécutive francophone
de l’institut professionnel des agents immobiliers représente l’exception
qui
confirme la règle.
En procédure administrative, on ne parle
pas, il est vrai, de poursuites, ni de citation : la saisine en première
instance est
volontairement opérée par une personne
soucieuse d’accéder à la profession réglementée
ou de conserver un statut.
A l’inverse, la procédure disciplinaire s’apparente
fortement en ses caractéristiques, moyens et fins évoqués
précédemment,
à la procédure pénale.
Au stade d’une procédure en degré
appel, on ne peut souscrire de manière crédible à
la jurisprudence de la cour de cassation
rendue en matière civile, dont il ressortirait
qu’une citation serait purgée de ses vices en vertu de l’effet dévolutif,
ni à la
transposition de cette opinion en procédure
disciplinaire.
La cour suprême a beau affirmer que les règles
du code judiciaire gouvernant l’effet dévolutif de l’appel s’appliquent
aux
procédures disciplinaires, ce code exclut
lui-même de son champ d’application les procédures régies
par des principes de droit
dont l'application n'est pas compatible avec celle
des dispositions dudit code.
Lorsqu’un dossier de nature répressive a
réussi, en première instance (éventuellement avec
la contribution ou la complaisance
du juge), à forcer les sévères
chicanes de la légalité, il est logique que le tribunal d’appel
valablement saisi ne juge pas plus
au fond que celui qui aurait mis naturellement
fin à une première instance mal engagée.
Pour qu’une cause puisse être traitée
par le juge d’appel, il est donc obligatoire que celui du premier degré
ait été légalement
saisi (M. Franchimont, A. Jacobs, A. Masset, op.cit.).
Il s’agit, en matière disciplinaire, où
actuellement les poursuites et les citations à comparaître
résultent d’une décision d’un
président de chambre exécutive irrégulièrement
investi de sa charge, d’appliquer par analogie la loi contenant le titre
préliminaire du code de procédure
pénale (art. 1), en vertu de laquelle l'action pour l'application
des peines ne peut être exercée
que par les fonctionnaires auxquels elle est confiée
par la loi.
Non légalement habilitée à
décider en ce cas du renvoi d’une affaire à une autre chambre,
la chambre d’appel ne peut que
constater le vice de saisine et renvoyer des poursuites
les personnes comparaissant devant elle.
Toute autre est la situation où des irrégularités
sont commises, non pas au stade de la saisine, mais à celui du jugement.
L’effet dévolutif de l’appel impose en ce
cas aux juridictions d’appel de connaître du fond de la cause, même
si les tribunaux du
premier degré sont irrégulièrement
composés.
Mais la circonstance que le principe du double degré
de juridiction ne serait pas un principe général de droit
n’autorise pas un
tribunal, lorsque le législateur lui-même
prévoit expressément ce double degré, à soulager
sa conscience en escomptant sur la
faculté des justiciables comparaissant devant
lui d’introduire un recours, pour violer sciemment les traités internationaux,
la
constitution, la loi et des textes rendant inutiles
des tours de passe-passe, ou encore galvauder et détourner de leur
noble
signification des principes inhérents à
un état de droit arraché à des siècles d’obscurantisme,
de droit divin et
d’assouvissement institutionnel d’instincts cruels
immémoriaux.
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